Un accident de travail en 1982, a considérablement réduit les séances au cinéma et aux spectacles en général car la position assise était parfois intolérable. Depuis 2007, une opération a arrangé les choses mais la cinéphilie avait été oubliée depuis trop longtemps … Là-dessus, l’âge venant et, en 2017, une série d’AVC, le cinéma s’est cantonné au service public de la télévision et à Arte. C’est ainsi que j’ai vu trois fois de suite Alice et le maire, sorti en 2019, de Nicolas PARISER. Excellent !
Fabrice LUCHINI est maire de Lyon. Il manque d’idées et a fait embaucher Alice (Anaïs DEMOUSTIER) pour lui en donner … Alice est une normalienne, donc une intellectuelle, qui a enseigné plusieurs années à l’étranger. Cela se passe pendant la préparation du camp socialiste aux présidentielles de 2017. Le maire doit intervenir au congrès socialiste qui donnera mandat au candidat à la présidence de la République. Avec Alice, le maire qui projette d’être ce candidat, prépare un discours décoiffant et invite la République à faire sa révolution car, dit-il, elle a perverti son école et ses grandes écoles qui au lieu de former des ingénieurs, des chefs d’entreprises et des hauts fonctionnaires de l’État comme naguère, préparent uniquement des financiers : les élites de la République ne sont plus républicaines car elles se sont financiarisées! Finalement, le discours retardataire de LUCHINI est escamoté ; et place est donnée au projet de communicants pour des primaires qui désigneront le candidat !
Ce film attachant montre en filigrane les changements que la société française (et d’autres avec elle), a connu et connaît toujours depuis les années 1980, l’ère de François MITTERRAND. Cela est-il lié au changement de trend (tendance)multiséculaire que l’historien Fernand BRAUDEL devinait à la fin de sa vie ? Il le situait aux environs des années 1973-1974 : un trend au caractère positif qui partait des débuts de la Renaissance, après le terrible XIVème siècle, et malgré les horreurs de guerres des XIXème et XXème siècle, s’achèverait avec la fin des Trente Glorieuses et marquerait le renversement de tendance, désormais négative, d’un trend multiséculaire. L’écologie ne figure pas dans le vocabulaire de BRAUDEL, mais il parle du temps long géographique ce qui signifie que les phénomènes géographiques se modifient très lentement mais qu’ils interfèrent avec le temps long de l’économie et des sociétés qu’il nomme l’économie-monde.
L’histoire ne se réinvente pas ; elle modifie les points de vue au fur et à mesure que les historiens s’intéressent à elle de façon différente : les grands évènements, la vie quotidienne, l’évolution du capitalisme, la conduite de la guerre, la présence des choix politiques, le rôle des épisodes séismiques, etc. Cela donne une nouvelle façon de voir la vie de nos prédécesseurs et étoffe le poids de l’histoire sur nos vies d’aujourd’hui. La leçon nostalgique d’Alice et le maire est de plusieurs ordres. D’abord sa date de sortie, 2019, traduit la stupeur du « dégagisme » des partis de gouvernement obtenu par le succès de la « République en marche », le constat plus que désabusé de l’évolution de la société subie mais pas encore consciente car toujours à l’œuvre, la perplexité devant la prévision des catastrophes écologiques à venir, le manque de culture des classes dirigeantes alors que l’école est l’alpha et l’oméga de la civilisation du XXIème siècle, mais quelle école ?
La guerre en Ukraine a réveillé les vieilles peurs de l’Occident parce qu’elle se déroule à l’ouest de l’Oural, alors que les guerres dans toutes les parties du monde n’ont pas cessé depuis 1945, sans effaroucher plus que ça les Européens, sauf si le prix de l’essence en était affecté. Les mesures de punition prises contre l’agresseur, la Russie, entraînent par ricochet les pénuries d’hydrocarbures et de denrées alimentaires. L’inflation est chez nous et le gouvernement prend des mesurettes pour tenter d’en atténuer les effets. Il oublie de dire que la pandémie du coronavirus, mal contrôlée, a coûté des vies humaines par dizaines de milliers et des milliards d’euros dépensés sans compter … mais qu’il faudra bien rembourser. Les financiers si nombreux en France et partout dans le monde se frottent les mains : les plus roués d’entre eux se feront des fortunes astronomiques sur la pauvreté et la précarité des populations qu’ils contrôlent. Alice et le maire démontre sans en avoir l’air que la démocratie est mise de côté mais que les communicants et les financiers sont les maîtres du nouveau monde.